La culture de l'esprit

feu grégeois consumant un navire devant un cité

Le feu grégeois, un mythe tenace

Le feu Grégeois, au-delà d’enflammer les eaux, enflamme bien des esprits. Mais en vérité, ce feu est-il si mystérieux que cela ? La recette du feu grégeois aurait-elle véritablement disparu ? Voyons voir dans cet article s’il est possible de mettre le feu à cette légende…

Cet article s’inspire du travail du chimiste français Marcelin Berthelot, qui, en 1880, a écrit une revue sur les compositions incendiaires.

Petite histoire des compositions incendiaires

Depuis la découverte du feu il y a environ 1 million d’années, l’humanité n’eut de cesse de rentabiliser cette énergie. Les nécessités du milieu et les affrontements entre groupes humains firent leur œuvre. L’humanité a utilisé le feu aussi bien pour se chauffer, cuire, que pour s’attaquer à d’autres groupes. Mais c’est surtout avec la sédentarisation qui débuta vers – 20 000 av. J.-C sous un réchauffement climatique, que les hommes utilisèrent le feu avec plus d’imagination.

En effet, sédentarisation oblige, villages puis villes furent construits. Des charrettes et des bateaux permirent de transporter les ressources accumulées et d’augmenter la puissance des jeunes cités. Bien évidemment, ces évolutions technologiques ont nécessité du bois et d’autres matériaux inflammables.

un village en feu

Les groupes humains, n’étant plus nomades, sont devenus particulièrement vulnérables face au feu. C’est pourquoi ce dernier fut utilisé pour brûler villes et villages, navires, enfin d’une manière générale pour détruire l’adversaire. L’empire Assyrien utilisa principalement le feu avec des torches. Il faudra ensuite attendre la Grèce antique pour découvrir des mélanges de substances à finalité guerrière, mélanges que l’on appelle des “compositions incendiaires”. L’idée est toujours la même, c’est-à-dire de provoquer des incendies pour détruire les biens de l’ennemi et l’affaiblir.

L’utilisation du feu dans la Grèce antique

Les grecs inventèrent les brûlots, ces navires chargés de fascines auxquels on mettait le feu et qu’on envoyait à pleine vitesse sur les navires ennemis. Le feu était aussi utilisé au cours des sièges, principalement pour détruire les portes en l’agrémentant de poix, d’huiles, de souffre, enfin de tout ce qui brûlait bien. Puis, c’est également en Grèce antique que l’on retrouve les premiers textes faisant mention de traits enflammés. Ces flèches permettaient de détruire les structures défensives mais aussi de brûler les maisons afin de déstabiliser l’ennemi.

Finalement, la société grecque dépendait du feu et ceci à la guerre comme à la vie ; par ailleurs, c’est probablement cette structure sociétale basée sur l’usage du feu qui a dû inspirer Héraclite pour sa théorie de la physique des quatre éléments, où le feu a une place centrale dans la structure de l’univers.

L’invention du feu grégeois

Les compositions incendiaires évoluèrent de l’Antiquité au Moyen-Âge. On utilisa des résines qui pénétraient le bois et rendaient difficile son extinction. Puis, on inventa différentes huiles, notamment l’huile de pétrole et de térébenthine qui ont un fort pouvoir embrasant.

C’est finalement dans cette effervescence scientifique qu’un chimiste trouva le bon mélange, et inventa ce que l’on nomme le Feu Grégeois.

un alchimiste découvre le feu grégeois

Comme son nom l’indique, le feu grégeois provient des grecs. Son invention reste entourée d’énigmes, cependant Théophane le confesseur décrit clairement son utilisation par l’empire Byzantin vers la fin du septième siècle. Ce qui est sûr, c’est que cette invention a suivi un long processus au cours duquel de nombreux savoirs se sont influencés, jusqu’à aboutir à l’invention du feu grégeois.

Le feu grégeois, une recette oubliée ?

Le mystère qui entoure cette substance provient principalement du fait que sa recette fut hautement classifiée par les grecs. Ces derniers menacèrent quiconque la révèlerait, c’est pourquoi celle-ci ne se diffusa et servit aux seuls grecs durant plusieurs siècles. Toute une mythologie autour du feu grégeois se diffusa pour intimider les adversaires. Un ange aurait apporté le feu grégeois aux byzantins, et cette substance pourrait détruire même la pierre.

navire consumé par le feu grec de couleur verte

Plus pragmatiquement, les hommes qui voulurent vendre la recette aux ennemis de l’empire furent éliminés. Voilà de quoi dissuader toute fuite, et du même coup toute attaque. Ce n’est finalement qu’avec la chute de l’empire Byzantin que le secret du feu grégeois finit par se dévoiler.

La recette du feu grégeois byzantin

Dans le Liber ignium, ou Livre des feux pour brûler les ennemis publié au 13ème siècle dans le monde latin, l’alchimiste Marcus Græcus décrit la composition de substances incendiaires, et notamment la recette du feu grégeois. Composition du feu grégeois selon Marcus Græcus :

« Voici comment vous préparez le feu grec. Prenez soufre vif, tartre, sarcocolle (résine) et poix, sel cuit (probable salpêtre), huile de pétrole et huile commune, faites bien bouillir toutes ces choses ensemble, puis trempez-y des étoupes et allumez. Vous pouvez, si vous voulez, couler le mélange par un entonnoir. Une fois enflammé, on ne peut l’éteindre qu’avec de l’urine, du vinaigre ou du sable. »

Marcus Græcus, liber ignium

Cette recette se retrouva également dans des textes musulmans, perses et turcs. De façon générale le secret jadis gardé fut utilisé par de nombreuses puissances.

Cette pousse provient du même champ :   Le dragon européen, créature façonnée par la peur

Quelle était la couleur du feu grégeois ?

La couleur du feu grégeois fait débat. Il semblerait que celle-ci soit verte, bien que certains textes relatent d’autres couleurs. Dans le monde arabe, celle-ci était décrite comme bleue. Cette différence de couleurs s’explique facilement par la diversité des compositions incendiaires existant à l’époque. En effet, différentes recettes permettaient d’obtenir un résultat proche ou similaire du feu grec. Ces compositions chimiques variées donnaient donc des couleurs différentes. Quoi qu’il en soit, cette couleur était liée à la composition du produit, donc la propagation du feu devait inévitablement être quant à elle d’une couleur naturelle.

illustration de la Chronique de Skylitzès de Madrid, 12ème siècle. Le feu grégeois y est représenté en rouge

Ci-dessus, une illustration de la Chronique de Skylitzès de Madrid, 12ème siècle. Le feu grégeois y est représenté en rouge, cela pourrait s’expliquer de deux façons. Soit, une recette donnait un feu rouge ce qui sème le doute sur la couleur de ce feu ; soit, les limites techniques de la peinture et l’accès aux pigments ne permettaient pas de représenter le feu grégeois en vert. Il se trouve d’ailleurs que les illustrations de la Chronique ne comportent pas de vert, ou une très légère teinte foncée pouvant à peine s’y rapporter, ce feu serait-il donc rouge par manque de moyens techniques ou l’était-il réellement ?

Le feu grégeois était-il vert ?

Au Moyen-Âge, le vert est souvent une couleur maléfique, associé à la magie mais aussi à certains péchés. Ce vert aurait donc bien pu servir d’artifice destiné à intimider l’ennemi, sans essentiellement être un composé nécessaire à la réalisation du feu grégeois.

flotte de navires brûlée par le feu grégeois

Finalement, ce vert n’était peut-être qu’une façon de rendre encore plus mystique ce feu, feu offert aux grecs par les cieux pour les aider à défaire leurs ennemis. Qu’il soit réel ou non, qu’il provienne de racontars ou d’une réalité physique, sa fonction fut bien remplie, et que nous nous posions la question aujourd’hui en est la preuve.

Le feu grégeois était-il efficace ?

Le feu Grégeois s’est finalement répandu partout, et notamment dans le monde arabe. Les croisés eurent à affronter cette substance utilisée par les sarrasins. Ils furent profondément marqués par celle-ci qui selon eux, ne rentrait pas dans l’esprit d’un combat loyal ; ou du moins, la force chimique supprimait leur avantage mécanique brut…

templiers qui attaquent une cité sarrasine, le feu grégeois attaque les croisés

Pourtant, malgré l’efficacité de ce feu difficile à éteindre et projeté facilement, il s’éteignit lentement lorsqu’une autre composition vint le remplacer : la poudre à canon. Mélange bien plus efficace, la poudre à canon apparut dès le 14ème siècle et marqua un tournant dans les substances incendiaires. Les anciens procédés persistèrent jusqu’au 16ème siècle tout en perdant peu à peu leur valeur. Finalement, le feu grégeois fut totalement remplacé par la poudre à canon et sa composition dévastatrice.

Finalement, qu’est-ce que le feu grégeois ?

Le feu grégeois fut une arme inventée par les grecs. Ce composé est le fruit d’une évolution de composés incendiaires, et marque l’apogée de ces mélanges antiques. Bien que fonctionnel et efficace en son temps, le feu grégeois ne résista pas à l’efficacité de la poudre à canon et s’estompa au fil des siècles.

une explosion de feu grégeois dévastant une armée

La recette du feu grégeois tout d’abord cachée fut révélée et utilisée massivement, avant de s’enfoncer dans un profond oubli. Ce n’est que sous sa forme légendaire que ce feu rejaillit vers le 18ème siècle. Cette légende, jadis créée par les grecs pour dissuader leurs ennemis, rend ce composé mystérieux. C’est cette légende qui désormais, embrase bien plus l’imagination de l’humanité que le feu grégeois n’a embrasé lui-même le monde.


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  1. Vérène Schaeffer

    Dans Pirates des Caraïbes, Barbe Noire fait usage du feu grégeois sur les sirènes pour les amener vers les filets…

    Le feu grégeois a été remplacé par le napalm, une sorte d’essence gélifiée et collante, d’aspect brunâtre, mis au point aux Etats-Unis en 1942 afin de pouvoir utiliser les propriétés incendiaires de l’essence en limitant ses inconvénients. Son nom vient de celui de deux substances chimiques,la poudre de naphtalène et le palmitate d’aluminium qui stabilisent le mélange final, en régulent la combustion et en accroissent l’adhérence.

    Le napalm a été utilisé une première fois en France le 24 juillet 1944 en Normandie. Ce jour-là , quelque 200 tonnes ont été larguées par l’aviation alliée dans la région de Coutances – Saint-Lô.

    • Intéressant, merci pour ce commentaire. On peut aussi faire le lien avec les lances flammes utilisés notamment dans les tranchées. Cette méthode se rapproche des projections faites par les grecs qui utilisaient des systèmes de pompe sur leurs navires pour projeter le feu grégeois

  2. Nina

     L’’empereur Constantin raconte qu’un ange lui fit jurer en lui donnant la recette « de ne préparer ce feu que pour les Chrétiens et seulement dans la cité impériale ».
    Et ce feu semble t’il était vert ! Vert comme l’émeraude ; pierre précieuse qui symbolise tout autant Lucifer Porteur de la lumière Divine que Venus Etoile lumineuse du soir ou du matin.
    Ces flammes vertes qui flottaient sur l’eau et détruisaient des navires sans être éteintes par l’eau devaient paraître vraiment magiques ! Ou divines !

    • Une couleur qui devait sembler diabolique pour les ennemis de l’empire… L’un des composés devait donner cette couleur, bien que celle-ci varie du vert au bleu selon les écrits. Finalement la variation des composés utilisés jadis fait que le feu grégeois n’a pas une couleur bien stricte

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